Le baptême du feu

Publié le par Vincent

Samedi, 13 heures, l'école ouvre ses portes et nous attendons tous sur le perron l'arrivée d'Anatoli Vassiliev que nous n'avons plus vu depuis mi-juillet et les deux spectacles qu'il présentait dans le festival d'Avignon (Mozart et Salieri de Pouchkine et L'iliade d'Homère).

Lorsqu'il arrive, quelque chose, tout de suite, se met en mouvement. Il est comme l'étincelle que nous attendions tous après ces deux longs mois et demi de pause estivale. Une étincelle qui va mettre le feu aux poudres de notre créativité artistique. Il est là pour ça : nous mettre au travail. Parce qu'il n'y a que par le travail que nous apprenons quelque chose, il n'y que la scène pour nous révéler ses secrets, l'homme qui ne vient pas expériementer la scène ne saura jamais rien du théâtre, il restera au stade des élucubrations intellectuelles, parfois complexes et intelligentes mais qui ne seront jamais d'aucune aide pour la pratique de l'acteur et du metteur en scène.

Le travail.

 

Nous entrons dans la salle 105, une vaste salle blanche avec un parquet en bois naturel - chez Vassiliev le théâtre n'est jamais une boîte noire, tout y est blanc, lumineux et la lumière du jour pénètre les lieux - et comme un rituel devenu maintenant une habitude nous plaçons les chaises en demi cercle devant deux autres chaises qui seront celles de Vassiliev et de Natacha Isaeva, son assistante et traductrice, responsable pédagogique du département mise en scène. Ils s'assoient tous les deux et Vassiliev prend la parole pour entrer dans le vif du sujet. La première session avec lui s'achèvera le 29 octobre. Par quoi allons-nous commencer à travailler ?

Il nous demande soudain pourquoi nous ne disons rien. D'habitude, il le demande après une question à laquelle nous prenons du temps pour réfléchir avant de répondre. Là, non, c'est une sorte de provocation parce qu'il sent que nous sommes en retrait. En attente, en vérité.

Alors il répond à cette attente et nous explique que nous allons commencer par Les trois soeurs de Tchékhov, poursuivant pour l'achever le travail abordé au cours de toute l'année dernière. Un travail qui porte à la fois sur les structures psychologiques (c'est-à-dire que le matériau dramaturgique du texte est fondé sur les situations elles-mêmes et sur la façon dont elles agissent sur les personnages en fonction de leurs circonstances personnelles, créant ainsi un conflit entre eux) et sur les structures ludiques (le matériau dramaturgique est le verbe lui-même, ce n'est plus la situation qui met l'acteur en mouvement, c'est ce qu'il dit). Parce que Les trois soeurs comportent beaucoup de monologues de chaque personnage et que chacun de ses monologues structure la pièce.

L'objectif sera de mettre en scène 2 actes de la pièce en trois semaines. Nous avons choisi, sans que ce ne soit une évidence d'ailleurs, les premier et deuxième actes. Ce n'était pas une évidence car le choix de la façon d'aborder les répétitions conditionnent tout le spectacle à venir. Certains d'entre nous proposaient de travailler sur l'acte I et l'acte IV, pour construire à la fois le début et la fin et faire le parcours en entier. Ce sera donc les actes I et II, des actes polyphoniques et collectifs, construits par Tchekhov lui-même presque comme un seul acte, une continuïté. Cela étant, Vassiliev nous a donné rendez-vous lundi pour commencer à travailler sur l'acte... IV !!!

Nous ne le mettrons peut-être pas en scène pour la fin de la session mais c'est celui sur lequel nous avons fini notre précédent travail, à Moscou en mai dernier, et je crois qu'il s'agit à la fois de repartir là où nous nous étions arrêtés - pour aller de l'avant et ne pas faire de sur place - et d'appréhender la pièce dans sa globalité, l'acte IV étant à la fois un achèvement et une ouverture vers un sens plus profond et spirituel : l'événement final, la mort en duel du baron Touzenbach, n'est pas traité comme un événement ! La situation n'agit pas, sur aucun des personnages, et la pièce s'achève sur trois monologues, trois existences monologiques qui viennent achever aussi trois lignes monologiques commencées dès la première réplique de l'acte I.

Nous commençons demain. Aujourd'hui sera donc un jour d'intense lecture et relecture de la pièce et des notes prises au cours de l'année dernière. Tout va aller très vite ensuite et il n'y aura pas de temps à perdre.

Se jeter dans le travail, avidement, et ne se permettre de penser que devant mon ordinateur, pour prendre un peu de recul.

 

Il s'agit d'être dans l'action maintenant.

 

Publié dans et-soudain-plus-rien

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